DOSSIERS News

L’armée au cinéma, un vivier d’anarchistes ?!

Please log in or register to do it.

Comment l’anarchisme peut-il naître au sein de l’une des institutions les plus autoritaires qui soient ? Alors que ce concept d’anarchisme semble si éloigné des valeurs qui font l’armée. C’est ce que nous allons essayer de comprendre au travers du genre des films de prisonniers.

Le film de captivité ou en anglais “Prisoner of War (PoW)” a obtenu ses lettres de noblesse au travers d’œuvres telles que La Grande Evasion” ou “Le Pont de la Rivière Kwai”. On se souvient de l’un pour le grand Steve Mcqueen à moto et de l’autre pour son thème musical tout en sifflement.

Tout au long de cet article, nous verrons les concepts qui forment l’Anarchisme et comment ils s’articulent au sein de différents films du genre PoW. Nous suivrons, plus particulièrement, le film “The Hill” de Sidney Lumet avec Sean Connery.

L’anarchisme défini par Chomsky:

Commençons par une première définition de l’anarchisme. Noam Chomsky le décrit comme une tendance de la pensée humaine à découvrir les structures de domination et les hiérarchies. Puis à les challenger, en leur demandant de prouver leur légitimité. Reconnaissant qu’elles ne sont pas capables de se justifier, comme le patriarcat ou l’impérialisme, une pensée créative tente alors de dépasser ce système indéfendable…

Maintenant, voyons comment cette caractérisation se traduit dans l’univers cinématographique du PoW. 

Mais c’est quoi un PoW ? 

Premièrement, reprenons les enjeux du PoW, pour mieux en définir les contours. Nous faisons ici une généralité qui vient résumer les règles du genre. 

Le film commence, la plupart du temps, par l’arrivée au camp des prisonniers. Vient une présentation des personnages et des défis qui les attendent. On nous révèle, alors, que lorsqu’un soldat est fait prisonnier, sa mission principale se transforme:

“Pour moi la question ne se pose pas. A quoi sert un terrain de golf ? A jouer au golf. Un court de tennis, à jouer au tennis. Un camp de prisonnier ça sert à s’évader !”

Pierre Fresnay : capitaine de Boëldieu dans La Grande Illusion de Jean Renoir

L’affect général a donc changé, mais toujours sous l’influence de l’institution militaire qui a défini ces règles… Les corps et les esprits ne se meuvent plus dans la même direction. 

Il doit donc tenter de fuir, dans le but d’occuper l’ennemi loin du front. Puis vient l’évasion. On suit alors les principaux intéressés dans leurs tentatives, plus ou moins fructueuse, d’échapper à leurs anciens geôliers.

Il existe une exception, qui n’en est qu’à moitié une, Le Pont de La Rivière Kwai. En effet, le colonel lutte contre son homologue Japonais au début du film. Après un âpre combat de volonté, l’anglais prend le dessus. Malheureusement, sitôt cette bataille gagnée, Sir Alec Guinness (colonel Nicholson), rentre dans le rang, ce qui le mène à sa perte. C’est l’un des seuls films du genre où le colonel refuse sciemment de s’enfuir et coopère avec l’ennemi.

Alec Guinness dans le pont de la rivière kwaï

L’Anarchisme dans le PoW

L’un des premiers points que l’on peut noter, est le rejet de l’autorité de la part des prisonniers. Tout comme Chomsky le définissait plus haut, l’une des caractéristiques de l’esprit anarchiste est la remise en question de toute forme d’hégémonie. Bien entendu, les instances Nazies et Japonaises ne peuvent être reconnues comme légitimes par les prisonniers. C’est donc une évidence due à la guerre qui oppose les alliés à l’axe.

Cela est vrai pour des films comme la Grande évasion ou bien encore la Grande Illusion mais beaucoup moins avec The Hill de Sidney Lumet. En effet, des soldats anglais, condamnés par une cour martiale, sont envoyés dans un camp de prisonniers en Afrique du Nord pendant la seconde guerre mondiale. C’est donc une autorité légitime, anglaise, qui enferme des soldats anglais ayant commis un crime. 

Affiche du film the hill de Sidney Lumet avec Sean Connery.
Anarchisme films prisonniers armée PoW

Le moment Potemkine 

Mais alors pourquoi cette remise en cause des institutions ? 

Car la violence subie n’est simplement plus tenable. Elle dépasse ce qu’un être humain est en état d’accepter des institutions légitimes. C’est à ce moment que l’institution perd tout son poids. Les prisonniers n’ont plus rien à perdre et sont prêts à franchir le pas de la révolte. La bascule s’opère alors à la mort de leur frère d’arme. Tous Les prisonniers décident en bloc de rejeter cette autorité lors d’une séquence de mutinerie dans la prison. C’est le moment Potemkine comme l’appelle Frédéric Lordon. Concept tiré du film de Sergueï Eisenstein Le Cuirassé Potemkine.

“Le moment Potemkine, c’est celui où, sous un abus de trop, la légitimité est détruite par le sentiment du scandale, et avec elle le consentement et ce qui restait de respect. Alors les matelots jettent les officiers à la mer et prennent collectivement les commandes du bateau.”

Frédéric Lordon.

Malheureusement, dans notre cas, le moment Potemkine n’arrive pas à sa finalité. Le gardien en chef désamorce la situation par un habile mélange de répression et de cadeaux (il offre de la viande au prochain repas). Les prisonniers calment alors leurs ardeurs insurrectionnelles.Toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé est purement fortuite…

La fuite

Dans la majorité des films du genre, les prisonniers finissent par s’échapper. C’est la forme que prend la pensée créative décrite par Chomsky pour dépasser le système. Comme dans L’Express du Colonel Von Ryan de Mark Robson avec Frank Sinatra, où les prisonniers, après avoir tué leurs geôliers allemands, s’emparent du train qui les menait dans un camp, pour fuir vers la Suisse, même si, dans les canons du genre, une grande partie sont tués ou repris lors de leur tentative d’évasion…

Affiche du film L'Express du Colonel Von Ryan de Mark Robson avec Frank Sinatra.
Anarchisme films prisonniers armée PoW

Dans The Hill, il n’y a pas réellement de fuite. En revanche, le seul prisonnier noir (joué par Ossie Davis) décide tout simplement de démissionner. Il informe sa hiérarchie qu’il ne se sent plus soumis aux règles de l’armée. Dès lors, il ne se comportera plus en soldat mais en excentrique sans limite, se moquant de tout et de tout le monde. Une sorte de pied de nez à ceux qui lui ont imposé des brimades en raison de sa couleur de peau. C’est une sortie des institutions par sécession ! 

Ossie Davis dans le film The Hill.
Anarchisme films prisonniers armée PoW

A l’inverse de Ossie Davis, Sean Connery (le personnage principal) ne dépasse pas les institutions par un esprit anarchiste. En effet, il reste bloqué dans le cadre militaire et espère que sa rédemption viendra de ses supérieurs. Le film garde donc ce côté respectueux de l’appareil militaire, malgré une critique bien présente du camp de prisonnier. Plus particulièrement, c’est la fin qui nous donne à penser que le seul moyen humaniste de s’en sortir se trouve dans la justice militaire et non dans un dépassement de cette institution qui semble viciée de par sa construction même. 

Une deuxième définition de l’Anarchisme.

Pour Bakounine et Kropotkine l’Anarchisme est aussi une forme de société hautement organisée, sur la base de communautés. Ils entendent par là, le lieu de travail, le quartier, et à partir de ces deux unités de base, par le biais d’arrangements fédéraux, une sorte d’organisation sociale très intégrée se forme et peut avoir une portée nationale, voire internationale. Les décisions sont prises sur de nombreux sujets, par des délégués qui font toujours partie de la communauté organique dont ils sont issus, dans laquelle ils retournent et dans laquelle ils vivent.

Affiche du film la grande illusion de Jean Renoir avec Jean Gabin.
Anarchisme films prisonniers armée PoW

Comme nous l’expliquent ces deux grands penseurs de l’anarchisme, la prison va ici former la communauté. Le grade reste la norme à respecter (c’est d’ailleurs le gradé qui, la plupart du temps, joue le délégué de la communauté), mais une organisation plus décentralisée et horizontale voit le jour. Les membres sont mis sur un pied d’égalité. C’est assez frappant dans La Grande Illusion de Jean Renoir, lorsque l’aristocrate met lui aussi la main à la pâte, et de bon coeur qui plus est, pour creuser un tunnel. Ou encore, dans La Grande Évasion, où chacun est libre de s’évader quand et comme il le souhaite. Même si l’affect du nombre joue un rôle important et “oblige” Steve Mcqueen à échafauder une opération des plus délicates pour aider tous ses camarades, alors qu’il est représenté comme un loup solitaire. C’est ici l’affect de la puissance collective qui détermine son passage à l’acte. On peut donc parler d’une institution recréée par les prisonniers et qui influe sur chacun d’eux. 

Steve Mcqueen dans La Grande évasion. 
Anarchisme films prisonniers armée PoW

C’est le déterminisme comme défini par Spinoza:

“Les auteurs qui soutiennent qu’une telle liberté n’existe pas peuvent trouver chez Spinoza un allié puisque l’une de ses grandes thèses est que rien dans la nature n’arrive sans une cause qui l’explique. Et c’est pour ça qu’on pourrait très bien faire un principe sociologique de la formule de Spinoza qui dit que si les hommes se croient libres, c’est simplement « parce qu’ils ignorent les causes qui les déterminent ».”

Une communauté n’est jamais un long fleuve tranquille…

L’apparente harmonie qui règne entre prisonniers, dans des films comme La Grande évasion ou bien La Grande Illusion, laisse aussi place à une discorde plus marquée. Notamment, lorsque des délateurs viennent contrecarrer les envies de liberté de notre communauté de prisonniers. C’est le cas dans Stalag 17, où les tentatives d’évasion se soldent toutes par un échec cuisant. Ou bien encore, dans Le Mouchard avec le sadique Capitaine Benucci qui semble être omniscient. Mais celui qui se rapproche le plus d’une quelconque réalité, reste le film de Sidney Lumet. En effet, les prisonniers qui partagent la même cellule ne sont pas tous d’accord entre eux. Le microcosme de cette société, qu’ils ont recréé, est traversé d’antagonismes, tout comme peut l’être la société française. Il est donc nécessaire, pour toute collectivité, d’avoir une forme de politique pour gérer ce genre de problème, sinon on tombe vite dans… l’anarchisme.

Affiche du film Stalag 17 de Billy Wilder.
Anarchisme films prisonniers armée PoW

Cette antinomie a besoin d’une réponse politique dans son sens noble du terme: 

“La politique en son sens plus large, celui de civilité ou Politikos, désigne ce qui est relatif à l’organisation ou autogestion d’une cité, d’un état et à l’exercice du pouvoir dans une société organisée.En général, la politique d’une communauté, d’une société, d’un groupe social, au sens de Politeia, se conforme à une constitution rédigée par ses fondateurs qui définit sa structure et son fonctionnement (méthodique, théorique et pratique). La politique porte sur les actions, l’équilibre, le développement interne ou externe de cette société, ses rapports internes et ses rapports à d’autres ensembles. La politique est donc principalement ce qui a trait au collectif, à une somme d’individualités et/ou de multiplicités. C’est dans cette optique que les études politiques ou la science politique s’élargissent à tous les domaines d’une société (économie, droit, sociologie, etc.) ;”

Et non dans ce sens:

“Dans une acception plus restrictive, la politique au sens de Politikè ou d’art politique, se réfère à la pratique du pouvoir, soit donc aux luttes de pouvoir et de représentativité entre des hommes et femmes de pouvoir, et aux différents partis politiques auxquels ils peuvent appartenir, tout comme à la gestion de ce même pouvoir ;”

Pour finir nous citerons Lordon, qui, dans son dernier livre “vivre sans ?”, nous rappelle que l’anarchisme ce n’est pas vivre sans institutions mais bien comment on les construit.

“Ici, une vue spinoziste des institutions répond que la puissance du collectif s’exerce nécessairement et que, par « institution », il faut entendre tout effet de cette puissance. Donc que le fait institutionnel est le mode d’être même du collectif. S’il en est ainsi, chercher la formule de « la vie sans institutions » est une impasse. En matière d’institution, la question pertinente n’est pas « avec ou sans ? » – il y en aura. C’est celle de la forme à leur donner. Assurément il y a des institutions que nous pouvons détruire (le travail). D’autres que nous pouvons faire régresser (l’argent). D’autres enfin que nous pouvons métamorphoser. Pour, non pas « vivre sans », mais vivre différemment.”

Frédéric Lordon

Et c’est justement parce que les soldats sont coupés de leur hiérarchie et soumis à des institutions qui ne leur semblent plus légitimes, qu’ils vont alors en créer de nouvelles au sein du camp, pour s’opposer à celles de l’ennemi et s’organiser dans le but de s’échapper, ou de tout simplement survivre. C’est cette idée d’illégitimité et d’indignation qui fait basculer le corps militaire dans l’Anarchisme !

Dreams : Le rêve d’être créateur ouvert à tous mais pas pour n'importe qui
#interview - Baptiste Peyron - "Les coulisses de Devolver: Business et punk attitude"

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *